ABDALLAH Dima « D’une rive l’autre » S. Wespieser, éd. 3/2025, 231p.
Le narrateur, 13 ans, est fou de mots. Il va souvent à la
médiathèque et découvre avec émerveillement le rayon poésie qu’il emprunte, lit
et relit. Une langue que je comprends avec mon âme, pas avec mon cerveau. Layla
est toujours près de moi quand je lis de la poésie. Le narrateur aime sa mère et la
déteste en même temps pour ses lamentations avec Aïcha, la bonne, et pour sa
boiterie. Quand elle n’a pas d’argent, son mari a disparu, son fils fait du trafic pour
lui en donner. Les mots le hantent. Il ne sait pas comment dire à Layla qu’il est fou
d’elle. Du shit et de l’encre, sinon ce qui brûle dans mon corps exploserait. Paralysé
de timidité, il n’ose même plus lui adresser la parole. Il passe des nuits à fumer
des joints avec son copain Elias en écoutant de la musique. Il en veut à son père
qui, en abandonnant sa femme, a détruit la vie de son fils. Beau roman, sombre
et lumineux. L’auteur est la fille de Hoda BARAKAT.
ASSOULINE, Pierre « L’annonce » – Ed Gallimard – 05/25 – 315 p.
Ils se sont rencontrés dans un pays en guerre
(Kippour). Esther est une juive sépharade du Maroc, Raphaël juif vient de Paris.
Esther fait son service, son rôle affreux, celui de l’Annonce, c’est-à-dire celui
d’annoncer à la famille de soldats morts au combat, leur détresse, car elle est
psycho. Lui, étudiant français, est chargé de tenir un élevage de dindons ! Ils ont
20 ans et aimeraient croire que c’est le plus bel âge de la vie mais ces quelques
semaines modifieront à jamais leur rapport à la mort. Ils se sont perdus de vue
chacun dans son pays. Cinquante ans plus tard, jour pour jour, la guerre frappe à
nouveau. Superbe récit d’initiation et portraits de deux êtres attachants.
Un très beau roman d’Assouline. P.S. Son titre est emprunté au livre de David GROSSMANN « Une femme fuyant l’annonce » portrait encore d’une Israélienne prenant le sentier du Nord au Sud pour échapper au risque d’une annonce.
CHANTREAU Jérôme « L’affaire de la rue Transnonain », Éditions La tribu, 1/25, 460 p.
Roman historique et chronique sociale des années Louis-Philippe. L’auteur enquête sur le 14 avril 1834 : qui a tiré la balle
à cause de laquelle les soldats s’étaient rués sur le 12 rue Transnonain pour y tuer toute la maisonnée ? 12 citoyens innocents – comment s’explique ce malheureux crime ? L’auteur excelle dans la description du contexte politique, de la vie
parisienne avant Haussmann ; il dresse un magistral portrait d’Adolphe Thiers, il suit l’orpheline Annette Vacher quand elle fut vagabonde et prostituée, jusqu’à ce qu‘elle se lie d’amitié avec les journalistes féministes. Tout y est : personnages
bien construits, Paris avec ses barricades, ses bruits et odeurs et, surtout, la lutte pour la justice – et un style ! Un sans-faute.
CONNELLY, Michael « A qui sait attendre ». Éditions Calmann-Levy,janvier 2025 ; 480 p.
Tandis que Renée Ballard, revenue d’une séance de surf, découvre
qu’on lui a dérobée son arme de service et son badge, le pôle cold case qu’elle
dirige vient d’identifier l’ADN d’un violeur assassin qui sévissait à Los Angeles au début des années 2000. Décidée à retrouver son voleur sans avertir sa hiérarchie, elle demande l’aide de Harry Bosch, bientôt rejoints par Maddy, la fille policière de
Bosch, qui, elle, s’est donnée pour mission de résoudre l’affaire la plus célèbre de la ville : le mystère du meurtre du Dahlia noir. On retrouve avec grand plaisir nos sympathiques héros qui vont mener simultanément trois affaires pleines de suspense et de rebondissements, meurtrier sadique, violeur pervers,
terroristes…la face la plus sombre d’une Amérique violente. Très bon roman policier.
DICKER Joêl – « La très catastrophique visite du Zoo » – Ed R. WOLFE- 05/25, 252 p.
A la veille de Noël, une visite scolaire dans un zoo tourne à la catastrophe. Que s’est-il passé ? L’auteur charge Joséphine, une des élèves, de tout raconter. Son école est une école privée
« spéciale » qui ne regroupe que quelques enfants « différents » Le livre est une enquête qui nous tient en haleine jusqu’au bout, émaillé de catastrophes (drôles !) et de clins d’œil sur nos modes sociétales (démocratie- rapports parentsenseignants), contenant d’ailleurs plusieurs niveaux de compréhension ! Un livre
au style attachant comme ses protagonistes, si touchant qu’il est à mettre entre toutes les mains.
ERLIH Charlotte – « Embrasser Kaboul » – éd Julliard -05/25 -376 p.
St MALO, 1926 – Elisabeth, secrétaire bretonne,
rencontre un jeune prince afghan, le beau Naïm KHAN. Après la naissance de leur premier enfant, le couple part s’installer à KABOUL sans se douter qu’une rébellion traditionnaliste s’apprête à renverser le roi très éclairé. A son arrivée, Elisabeth va se retrouver à mener une vie de recluse imposée aux Afghanes. La quête pour leur
liberté va devenir le combat de son existence. Près d’un siècle plus tard, la narratrice, petite fille d’Elisabeth, héritera des archives de celle-ci qui relate 40 années méconnues, au cours desquelles sa grand-mère n’eut de cesse de lutter
pour l’émancipation féminine (et ce n’est pas fini…)
ESTIENNE D’ORVES Nicolas – « L’île de l’orgueil » -Ed Albin Michel- 310 p.
Ni détective quadragénaire, ni assassin sadique, le héros campé par NEO n’est qu’un écrivaillon qui accepte de prendre la place d’un auteur à succès dans son île bretonne battue par les
embruns, (dans son lit avec une jeune femme aveugle traumatisée par la perte
d’un enfant), et dans sa banque. De ces deux écrivains interchangeables, on ne
sait pas très bien quel est celui qui pèche par orgueil. Au lecteur de se faire une
opinion.
FOENKINOS, David- « Tout le monde aime Clara » – Ed Gallimard- 05/25 -193 p.
L’histoire commence par ce qui devrait être la fin. Un dénommé KOSKAS prend des cours d’écriture avec un certain
ROSKER. Si notre héros prend ses cours c’est pour oublier la trahison de sa femme et leur rupture. Leur fille, CLARA, 17 ans, sera en garde alternée. Mais un jour, tout bascule : CLARA, à la suite d’un terrible accident de voiture, se trouve plongée
dans le coma pendant un an. A son chevet, les parents vont renouer et tout faire pour leur fille qui lentement émerge, mais fort différente, très centrée sur ellemême, prédisant l’avenir, voyant en rêve un admirable mausolée romain, « L’Ange
du chagrin ». Comment va-t-elle vivre cette nouvelle vie ainsi que ses parents stupéfaits. Un livre intéressant mais difficile à appréhender au départ vu sa construction !
FOTTORINO Eric « Des gens sensibles » Gallimard, 3/2025, 152p.
En 1990, à Paris, Jean Foscolani publie son 1er roman Des gens
sensibles, aux éditions du Losange (Gallimard ?) Clara (Françoise Verny ?)attachée de presse de la maison d’édition, prend en main Jean pour le faire connaître. Elle lui fait rencontrer Saïd, avec qui elle vit, écrivain algérien qui dénonce les atrocités commises dans son pays. Ils vont former un trio inséparable.
Clara n’avait ni mari, ni enfant. Elle distribuait de la tendresse sans compter.
L’auteur écrit J’ignorais encore tout de mes origines berbères. J’avais 20 ans et j’avais écrit le plus beau roman du monde. C’est Clara qui le disait. Je croyais tout ce que disais Clara. Roman agréable à lire. A écrit 41 ouvrages.
GANIEVA Alissa « Sentiments offensés », trad. du russe par Laurence Foulon, Gallimard, 2/25, 255 p.
Un roman russe.
Avec pléthore de manigances, d’abus de pouvoir, d’adultère et vengeance. On y dénonce, on y fait chanter, on intimide, on est accusé d’être traître à la patrie.
Chez les Russes, évidemment, rien n’est scandaleux et, surtout, on est loin de la méritocratie !! L’auteur pointe du doigt les liens entre les hommes politiques au pouvoir et les hommes d’affaires. En l’occurrence, Marina, femme d’affaires, et le ministre Liamzine sont amants depuis 10 ans. Quand on retrouve le cadavre du
ministre, Marina n’est pas mise en cause car elle passera un marché avec le procureur… Certains passages sont réussis, mais l’ensemble est comme bancal, il y manque quelque chose ; pour ma part, la fin n’est pas bien amenée.
GRANGÉ Jean-Christophe : « Sans soleil : disco inferno » Tome1. Editions Albin Michel, janvier 2025 ; 413p.
Paris, été 1982, la vie est belle dans la Capitale, il fait chaud, la Gauche est au pouvoir, les mœurs se sont libérées, l ’homosexualité est mieux acceptée. Mais le Docteur Daniel Ségur est inquiet : depuis quelques temps ses patients tous homosexuels
souffrent d’étranges symptômes, ils maigrissent beaucoup, leurs corps sont recouverts de taches brunes, aux USA on parle d’une nouvelle maladie : le Sida.
Un jour rendant visite à un jeune malade, il se retrouve face à la police, son patient a été massacré, découpé à la machette ! Ségur fait la connaissance de l’inspecteur Swift, jeune dandy cynique, et de Heidi jeune réfugiée argentine amie de la victime aussi intelligente que rebelle. Cette mort atroce, le début d’une série de meurtres tout aussi abominables, va les amener à côtoyer aussi bien le milieu festif mais sombre des nuits gays que la haute société parisienne lors d’une enquête éprouvante. Roman policier incroyable, un vrai bonheur de lecture.
Suspense parfaitement maîtrisé, intrigue passionnante, une atmosphère lourde, oppressante, des personnages originaux et une description minutieuse du Paris du début des années 80 : les boîtes de nuit, les backrooms, la prostitution homo, l’apparition du Sida.
MILLER Marceau « Le roman de Marceau Miller », Éditions de La Martinière, 1/25, 392 p.
Ce thriller d’un écrivain à l’identité inconnue met justement en scène un mystérieux écrivain à succès, dont un jour on retrouve le cadavre au pied d’une paroi rocheuse. (Car Marceau était aussi un grand amateur d’alpinisme.) Sa femme est convaincue que
ce n’était pas un accident. S’ensuit une enquête et nous plongeons dans le couple de Marceau, ses amitiés, les deuils et les secrets de son passé… On se jette aussi à la recherche de son manuscrit disparu ! C’est une histoire haletante qui nous mène au lac Léman et à la montagne, et qui se dévore tout simplement.
MOORE Liz : « Le dieu des bois ». Éditions Buchet Chastel, traduit de l’anglais (États-Unis), mars 2025 ; 507 p.
Été 75, le temps suit son cours dans le camp Emerson, niché au cœur des montagnes Adirondacks, propriété de la riche et très puissante famille Van Laar, où les rejetons de familles aisées apprennent à survivre dans la nature. Jusqu’au jour où Barbara
Van Laar, héritière des propriétaires, disparaît mystérieusement. Une enquête difficile s’annonce car personne n’a rien vu ni entendu, d’autant plus qu’en 1961, Bear, le fils de 8ans des Van Laar s’est évanoui lui aussi dans la nature ! Que se passe-t-il dans ces bois mystérieux et dans cette famille marquée par les
drames ? Excellent roman sur le poids de l’argent, de l’héritage familial, du déterminisme social où l’on passe avec brio du passé au présent dans une tension dramatique toujours soutenue. Certains personnages sont très attachants, d’autres détestables, le suspense ne faiblit pas dans une atmosphère oppressante et mystérieuse.
NORE Aslak « Piège à loup » Le Bruit du Monde, mars 2025, 420 p.
Henry est norvégien. Il combat d’abord le bolchévisme en Ukraine au côté des nazis. Ecœuré, brisé et blessé, il choisit de rejoindre la résistance. Il croisera la route de SORGE, nazi convaincu, intelligent et manipulateur qui cherche par tous les moyens à le démasquer. Par ailleurs, quel est le jeu de la troublante Beatrice, polonaise, contrainte par les nazis qui ont enlevé son fils ? L’auteur nous offre un roman d’espionnage bien ficelé, un jeu de piste, qui à partir d’une trame historique avérée, nous tient en haleine de bout en bout.
SINNO Neige « La Realidad » P.O.L. 2025, 259p.
Neige Sinno fait le récit du voyage au Mexique de deux jeunes femmes, Netcha la narratrice et Maga une amie espagnole, il y a une vingtaine d’années.
Celui-ci les mènera sur les traces du sous-commandant Marcos, en quête d’un village du Chiapas, justement appelé La Realidad, et des mouvements zapatistes.
Elle revient sur sa découverte et son apprentissage du monde mexicain. C’est une interrogation sur l’origine de son attirance pour les peuples indiens nourrie par JMG Le Clézio et une exploration des idées révolutionnaires avec la colonisation,
les rapports entre les idéaux et la réalité avec en fond le périple d’Antonin Artaud au Mexique (acteur, écrivain 1896-1948). Elle décrit aussi sa participation au cours des années 2010 aux manifestations organisées au Chiapas par les femmes
zapatistes. Plus qu’un roman, c’est un récit autobiographique d’initiation et de voyage où elle exprime ses réflexions, critiques et commentaires.
Très bien écrit, des passages intéressants plus particulièrement les
rencontres organisées par les femmes zapatistes.
BIOGRAPHIE
DRUCKER Marie « Nos cœurs déracinés » Grasset, 3/2025, 154p.
Mes grands-parents ont grandi à l’est de l’Europe, dans
des pays de grands froids. Ils ont connu le chaos, les persécutions et l’exil. Plus qu’un désir, une fascination, la France fut pour eux une intuition. Marie Drucker a été journaliste de TV, de radio, de presse. Elle est aujourd’hui réalisatrice et productrice de documentaires, scénariste et écrivain. Elle a un fils de 9 ans. Ses
grands-parents parlaient 6 langues : allemand, yiddish, russe, polonais, roumain, français. Après l’attaque du Hamas, j’ai ressenti le besoin impérieux d’explorer mes origines. Poignant.
Récit
KAUFFMANN Jean-Paul « L’Accident » Ed. des Equateurs, 2/2025, 328p.
Le 2 janvier 1949, 18 footballeurs du bourg de Corps-Nuds, près de Rennes, trouvèrent la mort dans un accident de la route. Le plus jeune avait 17 ans. D’ordinaire mon père suivait l’équipe dans ses déplacements. Il aurait dû figurer parmi les morts. J’avais 4ans et demi. Depuis mon enfance je me suis toujours vu confronté à des choses incompréhensibles, des secrets, des énigmes à résoudre. Parle de son père boulanger, de sa mère
pâtissière, des parents aimants, attentifs, sécurisants, qui formaient un couple uni.
Parle de ses moments merveilleux d’enfance et n’a jamais retrouvé dans sa vie d’homme un tel état de contemplation et de béatitude. L’auteur, servant de messe, était fasciné par tous les rites religieux de sa paroisse. Pour l’extrême-onction, j’adorais précéder le curé en agitant ma clochette. Parle de sa captivité au Liban,
de sa terreur d’être exécuté comme ses amis journalistes. Mais de sa petite enfance ne garde que des souvenirs radieux. Un bonheur de lecture. Magnifique écriture.